Coupe René le Bègue - La première grande compétition d'après-guerre!

 En 1945, à l'issue de la guerre, la course automobile a rapidement repris avec les Coupes de Paris, mais ces courses restaient mineures et c'est vraiment en 1946 que la compétition a pu vraiment reprendre. Dès le mois d'Avril, une vingtaine de concurrents français et italiens avaient pris le départ du Grand Prix de Nice. Quelques semaines plus tard, c'était le Grand Prix de Marseille avec peu ou prou les même participants, les Talbots-Lago, Bugatti, Delahaye, Maserati et Alfa Romeo d'avant-guerre, puis d'autres courses en France et en Europe. Mais ces quelques premières courses restaient organisées par des automobile clubs locaux sans la participation des automobile clubs nationaux. L'ACF cependant avait déjà commencé l'organisation de sa première course après-guerre, avec le soutient de l'AIACR en pleine reformation.

Pour cette première grande course d'après-guerre, l'ACF choisit de rendre hommage à l'un des plus grands pilotes de l'époque, René le Bègue, un spécialiste des rallyes et de la course de côte. René le Bègue avait ainsi remporté de nombreuses courses avant-guerre comme le rallye de Monte-Carlo 1937 alors qu'il était tout juste âgé de 23 ans! Durant la guerre, comme de nombreux pilotes, il entrera dans les Forces Françaises Libre, effectuant des mission de livraison au volant de sa voiture entre les différentes poches de résistance autour de Paris, et en Janvier 1946, il est élu vice-président de l'AGACI, l'association des pilotes automobiles français. Hélas, il ne profitera pas longtemps de son poste, le 24 Février, avant même l'ouverture de la saison automobile, il est retrouvé décédé dans sa salle de bain, intoxiqué au monoxyde de carbone, son chauffe-eau étant défectueux. Il était âgé de 32 ans.

C'est donc en hommage à cet excellent pilote doublé d'un héro de la résistance que le "Grand Prix de l'ACF" portera le nom de Coupe René le Bègue. Quand au circuit, les pistes permanentes ou semi-permanentes n'étant pas prêtes à accueillir la compétition, c'est une boucle de 6km dans Saint-Cloud, entre Paris et Versailles, passant par le tunnel et le Parc de Montretout qui est tracée.

Partant des bords de Seine, Place Georges Clémenceau, en face de l'ancienne gare de Saint-Cloud détruite en 1975, les pilotes allaient monter la rue Dailly passant devant l'hôpital René-Huguenin jusqu'au sommet du coteau. Le circuit suit ensuite la rue Gounod jusqu'à la Place Magenta où il tourne à gauche en angle droit sur l'Avenue Magenta direction le parc de Montretout et l'ancien passage à niveau. Comme un hommage à l'histoire de la course automobile, le circuit passe à l'endroit où se situait le départ des deux premières Coupes Gordon Bennett! A peine rentré dans le parc, les voitures allaient bifurquer à droite pour descendre vers la nouvellement ouverte autoroute A13 pour y faire demi-tour un kilomètre plus loin et revenir vers le tunnel de Saint-Cloud. Juste avant le tunnel, une chicane faite de bottes de paille est installée pour des raison évidentes de sécurité, cassant la vitesse dans le tunnel. Enfin, une fois sortis du tunnel, les pilotes allaient descendre la rue du palais jusqu'à la ligne de départ, les stands de ravitaillement se situant à cet endroit.

Du côté des participants, tout le gratin d'avant-guerre était présent (à l'exception des allemands). Ainsi, Alfa Romeo arrivait grand favori avec la 158 à moteur compressé de 1.5l qui avait déjà montré sa supériorité en catégorie voiturettes. Engagés par l'écurie officielle, les pilotes étaient Jean-Pierre Wimille, un prodige français déjà vainqueur à de nombreuses reprises avant-guerre chez Bugatti; et Giuseppe Farina, lui aussi multiple vainqueur et habitué de la marque au trèfle.

Deux autres Alfa Romeo, des 8C-2300, étaient engagées à titre privé par Jean Lucas, plutôt habitué aux voitures de sport; et Néerlandais Eric Verkade. Les 8C étaient de vieilles dames du début des années 1930 mais restaient malgré tout performantes.

Autre favori italien, Maserati était la marque la plus représentée avec onze représentants! La Scuderia Milano, avec le soutient du constructeur, engageait deux 4CL pour le très expérimenté Raymond Sommer et l'italien Arialdo Ruggeri, et une 6CM pour le légendaire Tazio Nuvolari revenu en Italie après plusieurs années en tant que pilote Auto Union.

La Maserati 6CM était un peu ancienne, mais toujours très appréciée des pilotes, et quatre autres pilotes, privés cette fois, allaient courir dessus: Harry Schell, héritier d'une riche famille d'expatriés américains qui débute dans la compétition automobile; le comte Jules Raphaël Berthenod dit "Raph" déjà très présent avant-guerre ayant piloté entre autre pour l'écurie des parents Schell; l'aristocrate et pilote expérimenté TASO Mathieson; et enfin Roger Dého qui ne participera finalement pas.

Tout comme la 6CM, la 4CL était dotée d'un moteur compressé de 1.5l. Conçue en 1949, elle n'avait pas vraiment eu le temps de montrer ses capacités dans les courses de voiturettes, mais s'était tout de même montrée performante en remportant entre autre les Grand Prix de Nice et de Marseille 1946. En plus des pilotes semi-officiels, quatre pilotes ont fait confiance en cette voiture, Robert Mazaud pilotant pour la famille Schell; et trois privés: Maurice Trintignant qui avait débuté en 1948 et qui partageait sa voiture avec le jeune italien Discoride Lanza; un autre jeune pilote, Henri Louveau; et Enrico Platé, très présent avant-guerre dans les courses de voiturette à la fois en tant que pilote et en tant que patron d'écurie.

La France de son côté reste bien représentée avec Talbot-Lago qui engage une T26C tout juste conçue, en réalité encore en phase de test mais très efficaces aux mains du monégasque Louis Chiron toujours aussi performant bien qu'ayant débuté au milieu des années 1920!

Marque la plus représentée, Delahaye engageait cinq 135. Ces voitures datant du milieu des années 30 avaient surpassé toute concurrence dans les courses de sport, particulièrement en France. Et sa contrepartie Grand Prix, bien que plus faible que ses concurrentes allemandes et italiennes avec son moteur conventionnel, restait plutôt performante. A leurs volants, on retrouvait les expérimentés Eugène Chaboud, qui pilotait déjà pour Delahaye avant guerre; Yves-Giraud Cabantous, passé d'une écurie à l'autre avant de se fixer chez Delahaye en 1938 et vainqueur de plusieurs courses; Georges Grignard, grand habitué des courses de voiturettes; Charles Pozzi, qui débutait la compétition alors pourtant âgé de 37 ans (!); et le moins connu Henri Trillaud, mécanicien de son état et pilote amateur à ses heures.

Une sixième Delahaye était engagée à titre privée, une 155 pour le franco-néerlandais Paul Friedrich.

Une seule Bugatti, une ancienne T35B, est alignée par le français Victor-Henri Serve à son nom.

Dernier engagé, Eugène Martin engage une vieille Salmson GS de la fin des années 1920 qu'il a retravaillé pour en faire une voiture de Grand Prix. Malgré tout son talent d'ingénieur, il ne s'attend pas à faire de belles performances pour sa première course.

Vingt-quatre engagés, vingt-trois présents, la course se montrait donc sous de belles augures en ce début de mois de Juin 1946. Les Vendredi et Samedi précédent la course, pendant deux heures chaque jours, Saint-Cloud a vibré au son des moteurs, les équipes réglant leurs voitures et enchaînant les tours pour établir le meilleur temps aux qualifications. A cet exercice, sur un circuit technique demandant à la fois vitesse et agilité, c'est Raymond Sommer sur sa Maserati qui s'est montré le meilleur devant les Alfetta de Wimille et Farina suivis de prêt par Nuvolari. 2:52 pour un circuit de 6km, les performances des voitures et des pilotes n'étaient pas rouillées! Lors des essais, Jean Lucas est victime d'un accident à la chicane. Il sort sans blessure, mais doit déclarer forfait pour la course, son Alfa Romeo étant trop abîmée pour participer.

Et Dimanche, à 14h, le départ du premier "Grand Prix de France" après-guerre était donné! 30 tours prévus, on prévoit une course d'un peu moins de 2h!

Devant une foule immense digne de l'âge d'or de la course auto, c'est Wimille qui prend la tête au départ de la course devant Sommer et Farina, mais Sommer à l'intérieur de la première courbe reste à côté de Wimille sur toute la montée de la rue Daily. Fagioli profite aussi de sa bonne position sur la grille pour garder le contact et se porte presque à la hauteur de Wimille, c'est un duel de puissance entre la Maserati et les Alfa Romeo sur cette pente très inclinée!

Et finalement, au virage de l'hôpital René-Huguenin, c'est Wimille qui est en tête devant Sommer, Farina, Nuvolari et Discoride Lanza qui a pris un départ formidable depuis la 14ème position! Si les premiers virages sont propres et sans contact, si les pilotes sont là pour se faire plaisir sans se mettre au tas, ils sont tout de même à l'attaque, en glisse des quatre roues!

Les premiers tours sont sous le signe de la supériorité Alfa Romeo, Wimille prend rapidement le large devant Sommer qui lui se retrouve menacé par Farina. Plus loin, Victor-Henri Serve sur la seule Bugatti ne passe pas le second tour, et après trois tours bouclés, Eugène Martin abandonne à son tour, tout deux victimes de leur magnéto.

Au bout de cinq tours, Farina finit par se débarrasser de Sommer au freinage de la chicane, Wimille est déjà loin et les premiers retardataires sont dépassés comme Harry Schell qui abandonne au 6ème tour sur une casse mécanique ou Frederich sur une Delahaye complétement inutile...

Et après 8 tours d'agonie, Frederich abandonne finalement sur casse moteur... Au même tour, Enrico Platé voit son embrayage lâcher sur l'autoroute. Puis au fil des tours, le nombre de concurrents s'amenuise... Raph au 9ème tour est victime d'un accident sans gravité au virage du parc, Chaboud casse son moteur au 10ème tour. Et pendant ce temps, en tête, Wimille reste intouchable alors que Sommer garde le contact avec Farina.

Au 14ème tour, c'est le drame pour la Scuderia Milano. Nuvolari qui jusqu'ici tenait bon la 4ème position derrière son coéquipier Farina abandonne sur casse moteur! Les mécaniciens donnent tout de suite l'ordre à ses pilotes de ralentir d'autant qu'henri Louveau, sur une autre Maserati, a été victime des pavés qui ont rompu une de ses suspensions! Pendant ce temps, les Alfa Romeo continuent d'attaquer en tête, mais pour combien de temps?

Au 15ème tour, le silence s'abat dans le stand Alfa Romeo, Giuseppe Farina alors solide 2ème s'arrête, boîte de vitesse cassée! Jean-Pierre Wimille reçois l'ordre de ralentir, mais il est déjà trop tard, sa boîte est de plus en plus dur, et on l'entend faire beaucoup de sous-régime. Au 19ème tour, le français s'arrête aussi, pour les même raisons. Alfa Romeo tient une véritable machine a gagner, il reste juste a corriger cette faiblesse!

A 10 tours de la fin, Raymond Sommer a course gagnée, mais Louis Chiron sur la Talbot-Lago remonte fort et se rapproche du pilote Maserati! Les autres sont déjà tous à au moins un tour du leader. Profitant des ravitaillements, Eugène Chaboud qui avait abandonné au 10ème tour prend la place de Yves Giraud-Cabantous sur la meilleure Delahaye pour tenter de gagner quelques places, en vain, TASO Mathieson est trop loin. De la même manière, Maurice Trintignant prend la place de Discoride Lanza sur SA Maserati, il dépassera seulement Charles Pozzi pour ne pas être dernier...

Et finalement, après 30 tours et 1h38 de course, Raymond Sommer remporte la Coupe René le Bègue avec seulement 17sec d'avance sur Louis Chiron qui, sur la seule Talbot-Lago en course, un prototype pas encore prêt pour la compétition, à vu la victoire de très près!

Cette course, assez anonyme au demeurant, représente un moment important du retour de la course automobile avec l'implication de l'ACF, mais aussi des têtes de la futur FIA en cours de formation et même de la FIM, le week-end voyant aussi une course motocycliste! La course auto était de retour, et c'était maintenant officiel!

Retrouvez les résultats complets de la course sur le Wiki Mémoires Mécaniques, n'hésitez pas à le visiter! https://memoires-mecaniques.fandom.com/fr/wiki/1946_Coupe_René_le_Bègue

Neet for Speed

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